La haine de ma chair
Je hais ma chair, je ne la supporte plus, j'ai besoin de m'en détacher, de m'en débarasser... Et pourtant je ne suis que sang et chair, jusqu'à ce que je ne sois plus rien.
Je la sens en moi, faible, dormante, emplissant tout l'espace et ce sang qui bat dans mes veines, ce sang qui se bat contre moi. Je suis l'ennemie de ma chair et de mon sang, une sorte de microbe ambulant, refusant tous réflexes de survie, se laissant dévaster par tout ce qui m'arrive.
Au fond, je suis un arbre, emplie de sève, dormante l'hiver et pleine de secrets l'été, immobile pourtant et se laissant étouffer par le lierre, manger par les champignons, grignoter par les insectes, salie par les oiseaux, et pourtant je reste immobile, c'est la condition d'un arbre qui est la mienne.
Percutée par les extrèmes et ravagée par mes propres blessures, je continue d'avancer, de progresser dans cet apparent immobilisme qui me caractérise. Je ne vis que par ma propre destruction, parce que c'est tout ou rien et que si je veux être honnête avec celle que je suis, il me faut me détruire pour que je puisse me supporter enfin...
Orbes oniriques absolus.. j'ai déjà contemplé la mort de mon propre corps, j'ai déjà vu ce cadavre de l'extérieur, et je me suis observée, soulagée qu'il soit possible de détruire la chair qui me constitue, effrayée de penser que ça pourrait être utile. La vision n'était pas effrayante, mais sa pensée l'était très largement. Mais quand ensuite mes yeux tristement vivants se sont ouverts, je n'ai plus ressenti que cette sorte de dégout qui me suit depuis pour la chair et le sang dont je suis faite.
Je ne connais ce qui me constitue que par la douleur de sa destruction. Pourissements, craquements, maux insupportables et contemplation journalière d'une décrépitude en marche... ce corps existe, qui l'aurait cru si plein de vie alors que justement je le malmène par mon laisser-aller ?
Dans un monde où la santé est glorifiée, où les sportifs sont des rois, je suis en total décalage. Et pourtant, il y a autant de mérite à courir un 100 mètres en moins de 10 secondes qu'à se laisser pourrir de l'intérieur petit à petit, autrement dit, le corps ne vaux rien et la survie ne sert à rien.
Si je suis un être de destruction, c'est parce que c'est la seule façon que j'ai trouvé pour me sentir vivante. Une personne avec qui je parlais de ça m'a fait comprendre cette chose, et je la pense très vraie d'ailleurs, surtout à cette heure.
L'agonie comme la jouissance... La mort comme sommeil... Le corps détruit au fil des ans... Mais au moins il aura servi et quand on le mettra en terre, c'est parce qu'il sera abimé, sali et dévoré par la vie que j'ai mené en m'efforçant de me brûler à petit(s) feu(x).
Ils l'ont dit !