Quand j'avais 11 ans, j'étais en 6eme primaire, c'était en principe la dernière année qui devait se terminer par les fameux examens cantonaux. Mais depuis l'année de mes 10 ans, mes parents m'avaient mise dans une école différente des autres : l'école de la réussite. On l'appelait "La maison des enfants". Située dans un petit village dans la commune de Floreffe, la maison des enfants était véritablement une vraie maison, avec une vraie cuisine, une cave, un grenier, un jardin, ...
Avant mes 10 ans, j'avais suivi une scoralité de type normale, avec devoirs du soir, étude forcée, interrogations écrites, dictées, ... J'étais dans la même école que ma mère, qui est institutrice maternelle, encore aujourd'hui.

Et puis un jour, à travers les formations que ma mère suivait, elle a rencontré Charle Pepinster. Il faisait des stages destinés aux instituteurs pour leur expliquer ce qu'était l'école de la réussite, la solidarité à l'école, ... Passionnée, elle a voulu suivre d'autres formations. Un été, elle m'a emmenée avec elle, à la Marlagne. Il y avait un stage pour enfant sur le thème des gaulois et des celtes (on apprenait à faire des cabanes, à se nourrir de ce qui se trouve dans la forêt, un peu d'histoire aussi, et tout un tas de choses super), pendant qu'elle suivait une formation avec Charles. Et cette semaine là, elle me l'a présenté, j'étais un peu intimidée... Il avait une façon de regarder les enfants comme s'ils étaient importants, de les écouter comme il écouterait un adulte, de poser des questions et non pas d'affirmer, j'ai été très déstabilisée par cet adulte étrange.
Alors, ma mère m'a parlé de cette maison des enfants, elle m'a expliqué les grandes lignes et m'a dit que si je voulais je pouvais visiter cette école très bientôt pour voir si je m'y plaisais, dans le but de m'y inscrire.

Pour moi ça a été une grande aventure que cette première journée, jusqu'alors je n'avais jamais encore été dans une autre école que celle où j'étais. Je n'avais jamais eu à me faire de nouveaux amis, je connaissais les enfants de ma classe depuis que j'avais 2 ans ! Ma mère m'a déposée devant la porte, est entrée avec moi, à partir de là je n'ai plus fait attention à sa présence tant j'ai été emportée par cette école.
Avec le recul, après avoir lu Harry Potter, je me suis sentie comme arrivée à Poudlard, dans le monde de la magie.

Une petite fille m'a prise par la main, elle s'appellait Marie, elle était rousse et était très jolie. Dans l'autre main, il y avait celle d'Eloïse, une petite blonde très fine, comme un petit chat. On a couru dans les escaliers, à chaque étage on s'est arrêtées pendant qu'elles m'expliquaient tout. Je n'avais pas assez d'yeux pour regarder autour de moi. C'était comme une maison de famille pleine d'enfants. 40 enfants +/- si mes souvenirs sont bons. Il n'y avait pas de classes, juste des groupes d'enfants, les petits, les moyens et les grands. Il n'y avait donc pas de redoublement, puisque pas d'année, et de toute façon on n'était jamais vraiment classés dans ces différentes catégories, parce que très souvent on travaillait tous ensemble. Mais revenons à cette première journée.

Il y avait donc Charles Pepinster dont j'ai déja parlé, Claudy Willems un grand bonhomme qui me faisait toujours penser à un ours, bourru mais un peu nounours aussi et Françoise, une gentille petite femme qui me faisait un peu peur au début.
A chaque étage il y avait des activités, selon la place et le matériel présent. Tout en haut il y avait un grenier, c'était un immense espace séparé par une cloison, il n'y avait pas de pupitres mais des tables et des chaises réparties selon le désir des enfants de la classe ou le besoin de l'activité. Tout en bas il y avait la cuisine, c'est là qu'à 10h des enfants préparaient des biscottes au Maredsous pour les autres enfants, c'était 2 francs la biscotte et c'était super bon ^^.
A côté une petite pièce qui n'était pas fermée par une porte, avec des tables, des chaises, et du matériel scolaire. Au premier étage, le bureaux des professeurs, la bibliothèque, une petite classe et les placards où on rangeait nos affaires en arrivant le matin. Le dernier étage était le grenier.

Tout au long de la journée je ne me suis pas sentie à l'école, je me suis sentie chez moi, dans une grande famille pleine d'enfants.

Alors, en revenant, j'ai demandé à ma mère si je pouvais rester dans cette école, elle m'a dit que je devais d'abord terminer mon année dans l'ancienne école. De toute façon il restait peu de temps. Fin juin j'ai dit aurevoir "pour toujours" à mes anciens camarades, Mélanie ma meilleure amie, Quentin mon petit amoureux, Julien l'amoureux de Mélanie, Frédéric mon GRAND copain ^^, ... C'était un peu triste, mais de toute façon tout le monde changeait d'école cette année là.

En septembre, j'étais très contente d'aller à l'école, je n'avais jamais été malheureuse d'y aller, mais je n'ai jamais été aussi enthousiaste que pendant ces deux ans passés là-bas.
Le premier jour, et comme tous les jours la plupart du temps, le matin c'était le conseil. Le conseil c'était un moment où tout le monde se retrouvait dans le grand grenier, certains assis sur les chaises, d'autres sous les tables, certains sur les genoux des professeurs, d'autres encores appuyés contre le mur assis par terre. Le conseil c'était le moment que tout le monde attendait en général, parce que c'est là qu'on prenait les décisions, qu'on parlait des choses graves, qu'on distribuait les activités, qu'on présentait le travail qu'on avait fait, ... Et surtout, il y avait la boite à dispute. C'était une simple boite en carton, où il était inscrit : "Boite à dispute". Quand on avait quelque chose sur le coeur on le marquait sur un papier et on le mettait dans la boite, on pouvait choisir de le signer ou pas. Parfois on pouvait écrire aussi qu'on avait bien aimé une activité, qu'on avait une idée, qu'on aimait bien untel, etc etc... C'était génial ! Parfois il n'y avait qu'un ou deux papiers, mais parfois beaucoup plus. C'était excitant et en même temps un peu effrayant, j'avais peur parfois que les mots parlent de moi. De toute façon, le professeur qui lisait le papier ne disait pas les noms des enfants cités dans les papiers quand ceux ci étaient négatifs ils disaient "une personne...".
Parfois le conseil se tenait plus tard dans la journée, c'était suivant ce qu'on avait décidé de faire, suivant le temps, etc etc.
Et puis souvent c'était l'activité "relaxation" on nous distribuait des mandalas à colorier, et ils mettaient de la musique relaxante, et on dessinait, on coloriait. Ou alors, c'était les massages du visage, chacun à notre tour on massait le visage d'un de nos petits camarades, le professeur nous disait quoi faire : et maintenant vous massez les tempes de votre camarade,... C'était génial ! Les mandalas ça m'est resté, c'est un truc qui permet de s'évader, de réfléchir et surtout de s'apaiser.
Il y avait aussi beaucoup d'activités de théatre ou pour parler en public, et les enfants étaient très bon public, c'était super de lire un texte ou de jouer une pièce de notre composition devant eux, devant tout le conseil. Bien sûr on avait nos acteurs favoris. Le préféré c'était Clément, qui faisait des pièces à hurler de rire, il était très drôle et on attendait toujours son spectacle avec impatience, même les professeurs étaient pliés en 4 ^^.
Et il y avait aussi les activités création de textes. On mettait un petit, un moyen et un grand ensemble, le grand était chargé d'écrire l'histoire qu'on créait, le moyen de la lire devant tout le monde, ... Pour moi cette activité n'était pas toujours facile, car j'aimais beaucoup écrire et parfois j'avais du mal à accepter les idées des autres :) mais au final on s'en sortait toujours bien.
Et puis les activités de mathématique aussi, ça c'était super ! On faisait des maths mais sans avoir l'impression d'en faire. On devait par exemple construire un cube en papier, mesurer le jardin pour voir combien il fallait qu'on achète de cloture, ...
En génral une journée type se passait comme suit :

- Matin : Conseil, relaxation, sport
- Midi : On mangeait, tous répartit partout dans la maison si un professeur restait dans la maison ou alors tous à l'école maternelle toute proche.
- Après-midi : Spectacles, activités lecture/ecriture, Mathématiques, promenades en forêt, préparation d'exposés sur des sujets donnés, ...

Il n'y avait pas de devoirs, on pouvait en faire, et on aimait bien ça. On avait une très longue liste d'idées de devoirs au choix (c'est comme ça que ça s'appellait) et on préparait ça chez nous à notre guise si on voulait en faire. Quand on avait un devoir au choix à présenter à la classe (car il était toujours présenté à la classe) on en parlait au professeur qui aménageait la journée en fonction de ça. Parfois personne n'en avait fait, mais souvent il y en avait tellement ! Les devoirs au choix ça pouvait aller d'un genre d'élocution sur un sujet qu'on voulait comme par exemple ; le chat, la fabrication de la laine, etc etc ou bien une présentation de recette de cuisine avec dégustation, ou bien énigme, ou bien petit poeme, distribution de feuilles avec mots croisés créé par les enfants, montrer un film qu'on avait réalisé... C'était vraiment bien parce que non seulement l'enfant qui préparait apprenait plein de choses, et apprenait à parler en public,... Mais en plus il apprenait à tous les enfants plein de choses sur des sujets quasiment illimités allant de la recette des cookies jusqu'aux découvreurs de l'amérique.

Les professeurs aimaient bien s'appuyer sur ces devoirs, ou plutôt sur les productions des enfants pour faire leur "programme" par exemple si un enfant présentait un texte de plusieurs page qu'il avait écrit, tous les enfants recevaient une page à corriger et le professeur de façon individuelle nous expliquait les règles de l'orthographe dans la pratique, et parfois quand plusieurs enfants étaient concernés par le problème il donnait une explication à tout le monde.

De plus, aucun enfant n'était obligé à rien, si ce n'est à respecter les autres. Une des devises là bas c'était : Ma liberté s'arrête là où celle des autres commence. C'est à dire qu'on pouvait tout faire tant que les autres n'étaient pas dérangés. Si le matin on allait trouver un instit pour lui demander si on pouvait se promener en forêt pour ramasser des feuilles, on y allait (et souvent tout le monde y allait ^^). Si un enfant préferait aller lire un livre à la bibliothèque il y allait.

Il n'y avait pas non plus de punitions comme à l'école normale, quand un enfant faisait quelque chose de mal, comme par exemple faire du mal à un autre enfant, en général Claudy criait avec sa grosse voix d'ours et c'était fini, ensuite on en discutait pour savoir pourquoi ce n'était pas bien et on lançait souvent un débat. Je me rappelle avoir été à l'origine d'un de ces débats. Un enfant de mon âge passait son temps à découper de la lingerie féminine dans les publicités pendant le conseil, j'avais été choquée, à 11 ans on trouve ça anormal des femmes en sous vêtements, etc etc enfin j'étais choquée ^^ et j'avais été trouver le professeur pour lui dire ce que l'élève faisait, ensuite on en a discuté avec les plus grands pour savoir si c'était bien ou pas bien de découper des photos de femmes en sous vêtements :) et on en a conclu que non hahaha, sur le coup j'étais encore plus choquée, mais après ça m'a fait réfléchir.

Et puis surtout, il y avait les chefs d'oeuvres. Les plus grands, ceux qui avaient 12 ans et qui allaient aller dans le secondaire l'année prochaine, devaient préparer un chef d'oeuvre. Dans la loi belge il n'est inscrit nulle part qu'on est obligé de passer des examens, il doit y avoir une épreuve mais pas un examen. D'où les chefs d'oeuvres. Le chef d'oeuvre c'est un exposé d'environ 1h/1h30 sur un sujet que les enfants choisissaient. Tout au long de leur dernière année, il préparaient leur exposé en se renseignant, en allant dans des musées, en créant des panneaux, en filmant des choses, en faisant des photos, ... Pour nous c'était un grand stress, on avait peur que notre chef d'oeuvre ne plaise pas ou qu'on n'arrive pas à travailler le sujet. Tout au long de l'année, les professeurs prenaient les plus grand à part (quand ça a été mon tour on était 6 à présenter un chef d'oeuvre), et demandaient où on en était, faisaient des plannings avec nous pour nous organiser, nous aidaient parfois dans nos recherches, etc etc. Je me rappelle je voulais faire un sujet sur le chat ^^ j'ai toujours aimé les chats et j'aurai aimé faire ce sujet, mais mes parents étaient fort derrière moi et on voulu que je choisisse un sujet plus sérieux, alors ma mère m'a un peu poussée à choisir : "Les origines de l'homme", c'était un sujet très sérieux, et très vaste, très épais aussi et dru surtout... Marie faisait le piano, Franck la mer du Nord, Aurore sur l'écologie, ... J'ai beaucoup stressé pour mon sujet, ma mère m'a beaucoup aidée, elle stressait encore plus que moi. on a fait une ligne du temps à l'échelle d'un Km, elle a sculpté les différents hommes-singes en plasticine, on a visité des musées, on a interrogé des gens, ... A la fin de l'année j'en avais par dessus la tête des origines de l'homme ^^ à tel point que maintenant j'ai du mal à m'y interesser hahaha. Le jour J, des personnalités sont invitées, le bourgmestre, des journalistes, les parents, les élèves, l'épicière du coin, nos familles... Et tout ce monde se réunit dans la salle du conseil, on a le début de matinée pour préparer la salle, accrocher les panneaux, installer les chaises, etc etc
On devait choisir aussi un parrain de chef d'oeuvre, moi j'avais choisi André, un ami spéléo de mon père qui avait écrit sur le sujet, ça le passionnait, je l'aimais bien et il m'aimait bien aussi on avait les mêmes passions : les chats et les livres ^^. Il m'avait même écrit tout un texte sur les premiers hommes, dont je m'étais servi pour introduire mon sujet.
Le jour J, avec le recul, c'est comme de passer de l'enfance au monde des adultes. Il y a une ambiance si lourde avant l'exposé, on a tellement de stress... Clément s'était même évanoui, il a du représenter son exposé un autre jour, c'était le stress. Franck lui a eu une crise d'hypoglycémie, Aurore était excitée comme une puce encore plus que d'habitude, Elodie devenait dingue, il n'y avait que Marie qui était calme, comme à son habitude, elle était chouette cette fille ^^.
J'ai fait mon exposé, personne ne s'est endormi, les petits sont quand même sortis parce que le sujet était un peu trop difficile pour eux peut être. J'avais essayé d'apprendre mon texte par coeur, mon stress venait de là, je n'arrivais pas à compiler la 40 aine de page dans ma petite tête, mais à ce moment là, quand je me suis lancée pour 1h30, j'ai improvisé, je me suis étonnée moi même.
Après l'exposé il y avait l'été, qui m'attendait à bras ouvert, qui me souriait avec tristesse, parce que ça voulait dire que je devais dire aurevoir à la maison des enfants, j'étais devenue grande, d'un coup.

Le jour de la remise du diplôme, nous 6, Clément, Franck, Elodie, Marie, Aurore et moi on a tous pleurés, c'était si triste de devoir partir, on voulait tellement rester, quitte à passer tout l'été là... J'avais beaucoup de mal à me dire que c'était fini, deux ans c'était si court dans un bonheur pareil, ça avait filé, et je ne l'avais pas vu passer. J'étais toujours aussi raide de Clément, je voulais toujours qu'Aurore soit une amie proche sans oser lui en parler, j'aurai voulu qu'Elodie m'emmene dans son univers, qu'Aurore me montre ses moutons, que Franck et moi on aille faire du cheval ensemble... Et puis surtout j'aurai voulu dire à Charles, à Claudy et à Françoise à quel point ils allaient me manquer, à quel point je ne les oublierai jamais... Mais on est bête quand on a 12 ans et qu'on a un long été devant nous. On ne se rends pas compte que tout est fini, pour toujours, qu'on quitte la maison des enfants pour le cauchemard de l'adolescence, par l'apocalypse des études secondaires normales, comme si notre passage au paradis n'avait pas compté pour l'autre monde...

Quand j'ai passé ma première année de secondaire, ça a été un vrai cauchemard, j'avais oublié la cruauté des autres, la difficulté de rester assise sur une chaise à écouter un prof, le suplice de ne pas savoir ce que c'est qu'une équation, l'horreur des classes vertes quand on est dans une classe très mal intégrée.
Mon petit frère était encore dans cette école, alors je les revoyais de temps en temps mes professeurs. Je n'ai jamais osé leur dire à quel point ça nous a tous fait un choc de passer d'un monde à l'autre, d'un monde où l'enfant est une personne à un monde ou l'ado est cruel et moqué... J'aurai voulu le dire à Charles, mais je n'ai pas osé, parce que je voulais qu'il soit fier de moi.

Je crois que ça a été les plus belles années de ma vie, jusqu'à présent. Cette école je crois qu'elle n'existe plus... Mais j'espère qu'un jour elle réouvrira, pour que mes enfants y aillent à leur tour.

De mon petit chez moi du net je fais un énorme bisous à Charles, Claudy, Françoise, Jean-Bernard, Clément, Franck, Marie, Elodie, Aurore, Emilie, Eloise, Pierrick, les trois Simon, Colette, Richard, ... Vous me manquez tant ! Je ne vous oublierai jamais !
Soyez toujours fidèle à ce que vous étiez dans la maison des enfants !

Lou2007