Douleur, compagne de chaque jour
Aujourd'hui j'avais envie de parler un peu d'autre chose, mais qui me tient beaucoup à coeur (à corps en fait) : la douleur, son acceptation, notre tolérance, les seuils, les moyens de la combattre, etc etc
La douleur, je la connais très bien. Je suis stomatophobe (c'est à dire que j'ai tellement la trouille des dentistes que je préfère crever de mal pendant 6 mois jusqu'à ce que mon nerfs se désagrège... je rapelle qu'une phobie est une peur irraisonnée, on a beau savoir que ce n'est pas raisonnable, pourtant elle est plus difficile à vaincre qu'une peur simple).
Déjà toute gamine, je cachais mes maux de dents pour éviter qu'on ne me conduise chez un dentiste et mes parents n'ayant jamais été très friands des soins dentaires (si si y a des gens qui aiment ça, j'en connais), la politique à la maison c'était : tant qu'on a pas mal, pas besoin d'aller chez le dentiste (sauf si le dentiste disait : faudra revenir pour cette autre dent là (argh)).
Je me souviens de nuits prostrées dans différentes positions bizarres à avoir très très mal, priant dieux et sortilège de faire mourir le nerf de ma dent douloureuse. De plus à l'époque j'avais une autre peur irraisonée... j'avais peur d'avaler des médicaments... Alors... je n'en prenais pas.
J'allais à l'école complètement malade de douleur, à en devenir presque folle, ou parfois j'arrivais à inventer des douleurs autres du style maux de tête etc qui me permettaient de rester à la maison.
Ensuite, vers 13 ans, j'ai vaincu ma peur des médicaments, grâce au soutien de mon petit frère en fait. Il m'a montré comment faire et on s'est entrainé avec des petits bonbons, quand j'ai vu que ce n'était pas si difficile que ça, ça a changé ma vie complètement (ben oui j'avais toujours mal aux dents, cette douleur est une compagne de chaque instant).
J'ai commencé à prendre des Nurofen, c'est ce qu'il y avait dans la pharmacie à la maison (pour les français chez qui le Nurofen n'existe pas, c'est un médoc à l'ibuprofen assez efficace). Le souci c'est que la boite était vite achevée, et pas question de dire à ma mère d'en racheter sinon ça aurait été avouer que j'avais mal aux dents. Alors je lui disait : tiens tu n'as plus de Nurofen, tu devrais en racheter au cas où tu aurai mal à la tête. Enfin j'usais de stratagèmes quoi.
Mais ça ne marchait pas toujours, alors un jour j'ai fini par craquer, tellement j'avais mal, j'ai rassemblé mon argent de poche et je suis allée à vélo à la pharmacie du village. Et la pharmacienne m'a vendu des Nurofen (en y repensant je trouve ça dingue qu'on vende des médoc à une gamine de 13 ans mais bon moi ça m'arrangeait).
C'était donc plus supportable d'attendre que mes nerfs meurent sous la carrie grâce à ces médicaments. Le souci c'est que pendant les période d'acalmie, j'ai continué à en prendre tous les jours, par peur d'avoir mal. En fait ça arrive petit à petit. Au début on en prends quand on a vraiment mal, ensuite on en prends parce qu'on sait que son effet va s'achever et qu'on va avoir mal, et enfin la dernière étape c'est d'en prendre parce qu'on croit qu'il soit possible qu'on ait mal... Et là on est piégés. Heureusement l'accoutumance n'est pas très grande, et grâce à une longue acalmie de quelques mois, j'ai réussi à arrêter toute seule (Mais bon heureusement que j'ai un estomac bien solide ^^).
Après, j'ai eu peur de retomber dans ce piège, et j'évitais les Nurofen, n'en prenant que lorsque le nerf commencait à être attaqué (là c'est la névralgie, la douleur qui rends fou et qui donne envie de se tuer pour qu'elle se calme, il ne faut pas rester comme ça, c'est insupportable).
Ensuite, j'ai tenté d'apprendre à me passer complètement d'antidouleurs, à résister comme avant à ces douleurs. J'arrive à résister à tous les maux, mais pas aux maux de dents. Même les maux de tête je les gère, même très intenses.
En fait je dois vous expliquer ce que ça fait que de sentir son nerf se faire dévorer par des milliers de bactéries. D'abord on a une dent sensible, et un petit trou commence à se former, là on est sensible aux chauds et froids, et on essaye de ne pas mâcher de ce côté là. Et finalement, au bout de quelques mois, le nerf est à vif, et si vous avez le malheur de faire une succion ou une aspiration de salive, ou de manger de la glace, vous allez savoir ce que c'est qu'un nerf à vif. Mais ce n'est pas encore le pire, parce que quand quelque chose touche votre nerf, la douleur est certes forte mais s'appaise très vite, c'est un peu comme si vous vous piquiez avec une aiguille d'un coup, la douleur s'estompe rapidement et ne s'installe pas.
Mais quand le nerf commence par être attaqué, là c'est la douleur intense, la douleur qui rends fou. Vous pouvez prendre 5 Ibuprofen à 400 mg, la douleur sera encore là, ensuite vient la névralgie. Toute votre face est comme douloureuse, gonflée, endormie (enfin pas toute votre face, juste le côté où se trouve la dent), vos ganglions de ce côté sont gonflés, votre nuque est raide, votre tête et vos sinus s'enflamment. Pour essayer de vous imaginer, il vous est surement arrivé chez le dentiste qu'il touche malencontreusement le nerf avec son outil pointu, vous ressentez une vive douleur qui vous arrache des larmes, et bien quand le nerf est attaqué, c'est comme si le dentiste vous faisait ça, mais pendant des heures interminables.
Fort heureusement, un nerf ne résiste pas bien longtemps et fini par crever assez vite (c'est un peu logique, une dent par exemple c'est méga solide, et pourtant ces bactéries arrivent à faire un trou en peu de temps dedans, alors imaginez un filament caoutchouteux... du gâteau pour elles ^^).
Ce qu'on ressent quand le nerf est mort, on le sent directement, c'est un peu comme si le paradis vous tombait dessus d'un coup et que la vie devenait si belle que vous en êtes éblouis, pleurant presque de joie... En fait voici ce qu'on ressent. Tout le long pendant des heures on a très très très très mal, on pense à se tuer tant ça fait mal. Puis, la fatigue vous gagne, parce qu'avoir mal c'est usant, alors vous finissez par vous détendre un peu, vous arrêtez de trembler, vous vous posez un peu, la douleur a gagné, vous êtes HS, KO... Et là, oh magie... Une énorme douleur aigue survient pendant une seconde, mais cette douleur fait du bien en fait, et l'instant d'après, vous n'avez plus mal du tout. Bien sûr votre face est toujours ankylosée, et les nerfs périphériques qui ont été stimulés malgré eux (névralgie) vous font quelques petites piques encore, mais la douleur qui rends fou s'en est allée. Et vous savez alors qu'à présent vous en avez fini avec cette atroce douleur pour cette dent là, plus qu'à attendre la prochaine carrie. (Bien sûr après vous pouvez avoir un abcès, mais c'est moins douloureux, et ça se fini assez vite avec des antibio, après la dent est morte et elle tombe en morceaux et vous êtes tranquilles).
Bref la douleur ça me connait. J'avais envie de parler de ça parce que je viens de subir ce que je viens de vous décrire. En fait depuis le mois de juin de cette année j'ai commencé à avoir mal à une dent, nous sommes en octobre, ça fait 5 mois de douleurs qui viennent de s'envoler, et je ressens ça comme une bénédiction. Tous les matins j'avais très mal, une fois debout la douleur s'estompait un peu, parfois pas alors je prenais un médicament, le même rituel chaque jour, avec des jours plus calmes que d'autres, mais sans passer un seul jour de calme sans douleur aucune. Mais je supporte bien la douleur chronique, c'est ma compagne et elle ne m'handicape pas, j'ai appris à vivre avec elle, sauf avec la douleur du nerf à vif... celle là je ne suis jamais parvenue à la combattre pourtant j'ai mes trucs :
- Quand la dent est située sur la machoire inférieure, il faut se pencher en avant et s'entourer de ses bras, se replier sur soi même et se concentrer sur sa respiration. Si on accompagne d'un mouvement de balancement et de la syllabe : Ommmmmmm, ça calme vachement.
- Si la dent est située sur la machoire supérieure, ça va être plus difficile, mais au moins il y a moins de risques d'abcès qu'en bas (ce n'est pas forcément une bonne nouvelle, parce qu'au moins quand on a un abcès énorme on a vachement moins mal, la douleur est plus difuse). Il ne faut surtout pas se coucher, garder la tête bien droite, mouvement de balancement vers l'arrière très légèrement avec la respiration, en se bouchant la narine du côté douloureux.
- Marcher les dernières heures insuportables, en suivant toujours le même circuit, en se concentrant sur ce mouvemement (l'idéal c'est en grand cercle ou en signe infini (8 à l'envers).
- Surtout pas de froid, et pas de chaud non plus (donc non on n'appuie pas sur sa joue avec sa main, c'est pire que tout, les bactéries ça aime le chaud et le chaud conduit mieux la douleur je trouve).
- Essayer de se distraire jusqu'à ce que ça devienne insuportable, en écoutant la radio le son au minimum, la télé fait mal aux yeux mais on peut l'écouter sansl a regarder. Baisser la luminosité aussi.
- Pouvoir serrer la main de quelqu'un ou avoir un animal de compagnie contre soi aide beaucoup. En fait quand on a très mal on a besoin de s'accrocher, de serrer, de toucher. Par contre il ne faut pas que la personne vienne vous toucher d'elle même, car à certains moments vous avez besoin de vous couper du monde pour supporter la douleur. Le mieux c'est d'en parler à l'autre tant que vous le pouvez encore en lui expliquant quoi faire pour vous aider.
- Crier ou gémir peut aider aussi, il ne faut pas hésiter si le besoin s'en fait sentir, ça évite de serrer les dents pour se retenir d'ailleurs (à éviter bien sûr de serrer les dents quand on a mal).
- Supplier, prier pour ceux qui croient, avec le risque de se sentir abandonné.
- Faire en sorte que les anti douleurs soient gérés par une autre personne, quand vous êtes au bord de craquer et de devenir fous, vous êtes tentés de prendre plusieurs médocs d'un coup, mais ce n'est pas la solution, alors il vaux mieux que quelqu'un de raisonnable soit là pour vous les cacher en cas de besoin (quelqu'un qui accepte votre éventuelle agressivité ^^).
- Il faut surtout espérer et croire de toutes ces forces que ça ne va pas durer, parce que ça ne va pas durer, on ne peut avoir si mal trop longtemps, de toute façon si on a plus mal que ça, on tombe dans les vappes, c'est une défense du corps, alors au pire si on a peur d'avoir encore plus mal, on peut se rassurer, le corps est bien fichu et est plein de sécurités comme ça. Il faut vraiment espérer et y croire, même si c'est dur et qu'on a l'impression qu'on va mourir de douleur, le mieux encore une fois c'est d'avoir une personne qui puisse vous dire quand il sent que vous en avez besoin : courage, je suis avec toi, ça va s'arrêter bientôt, garde espoir. ça peut paraitre tout con, mais franchement c'est d'un grand secours.
- Si on est tout seul, il ne faut pas hésiter à se dire dans sa tête (parce que ça fait mal de parler) : ça va aller, courage, et à se rassurer soi même, c'est plus difficile mais pas impossible. Il parait que de prier ça aide pour ça... quitte à prier vos dents ou votre corps :) à lui dire : s'il te plait arrête ça, je n'en peux plus.
Quelque part je suis contente de connaître cette douleur intense, après coup. Parce que toutes les autres douleurs à côté me paraissent faibles. Les petits maux de genoux, les tendinites, les maux prémenstruels, les maux de tête, le mal de dos, même une bonne cistite ça passe tout seul ^^. Cette tolérance à la douleur j'en suis fière, c'est comme un apprentissage, un défi, et surtout ça aide à voir la vie comme elle est vraiment. Quand on est complètement dans une phase très douloureuse, on est obligé de se replier sur soi, et de se recentrer complètement, alors quand la douleur s'en va (parce que pour les maux de dents, ça s'en va, pour la fybro c'est une autre paire de manche par exemple) on se sent bien dans sa peau, on voit la vraie beauté des choses autour de soi et on en profite un max, parce que quand on avait mal on ne pouvait pas en profiter et ça nous manquait. Quand on a très mal par exemple on s'isole un peu, difficile dans ces cas là de parler de ses sentiments pour quelqu'un, et quand on a vraiment mal on se dit que quand on aura moins mal ou plus mal du tout, on mettra le paquet pour dire ce qu'on a sur le coeur, et c'est ce qui se passe vraiment.
Cependant, je veux à présent relever d'autres défis, et il va falloir que j'aille chez le dentiste. Je ne me vois pas enceinte avec une douleur pareille, c'est le risque de fausse couche assurée, par exemple. Surtout qu'enceinte... pas de médocs... ce serait comme de me retrouver gamine au fond de mon lit quand je n'arrivais pas à avaler de médicaments.
J'ai besoin d'être libre enfin de ces douleurs. Je ne regrette pas de les avoir eues, car avoir mal apporte plus que de se faire du bien, mais à présent je veux passer à autre chose et ne plus être son esclave permanente, avoir cette épée de Damoclès sur la tête aussi à chaque fois que je mangerai un gâteau au chocolat ou que je serrerais les dents de colère...
Pour autant je pense ne jamais oublier ce que c'est que d'avoir mal. Je suis toujours très attentive à la douleur des autres autour de moi et c'est une chose importante pour moi que de soulager autant que possible les gens autour de moi.
Même si vous n'avez pas connu de grosse grosse douleur (ou que vous avez un peu oublié ça) essayez d'être toujours là pour les gens qui ont mal autour de vous, quand on va mal c'est important d'être entourés, de ne pas se sentir seul au monde avec sa douleur. Je suis persuadée que des gens se suicident parce qu'ils ne supportent plus l'enfermement que leur impose la douleur, et surtout qu'ils ne supportent plus la douleur en elle même (car contrairement à ce qu'on pourrait penser, plus longtemps on a mal, moins on parvient à résister et on devient ultra sensible bien souvent). Il ne faut jamais sous estimer non plus une douleur, même si la personne ment et invente, parce que même si elle ment ça ne peut que lui faire du bien que vous soyez à ses côtés pour lui tenir la main. En fait c'est ça le véritable amour qu'on peut porter aux gens, c'est à ça qu'on reconnait les gens qui nous aiment, c'est ceux qui souffrent avec nous, et je peux vous garantir qu'on se souvient toujours des mains qu'on serrait quand on avait mal, quoi qu'il se passe dans nos relations après ça. On devient comme frères de douleur, et ça, ça n'arrive jamais avec le plaisir, c'est d'ailleurs étrange. D'ailleurs la preuve c'est que souvent on s'attache plus facilement aux gens qui ont souffert de la même chose que nous qu'à ceux dont les maux nous sont inconnus.
Et je voulais dire aussi, si vous lisez ceci et que vous avez mal en ce moment, sachez que je suis réellement de tout coeur avec vous, qui que vous soyez, où que vous ayez mal. J'ai envie de vous dire aussi : courage, garde espoir, parce que ça va aller mieux. Ne perds pas pied, la vie est belle justement parce que tu as mal maintenant.
Dans tout ça, il reste encore une question que je n'ai toujours pas résolu... Pourquoi c'est si désagréable d'avoir mal ? Après tout c'est une sensation, comme la sensation de chaud, de froid, de dur, de mou, de lumineux, de sombre... Pourquoi la douleur est elle aussi... N'y aurait il pas moyen de pouvoir ressentir la sensation de douleur au lieu de la douleur elle même ? J'ai essayé, mais je n'y suis pas parvenue. Sans doute qu'il faut encore beaucoup méditer et s'entrainer pour arriver à ne plus ressentir le désagréable d'une douleur mais le message qu'elle apporte... enfin peut être n'est ce pas possible ? En fait ça devrait... le monde serait différent, très différent de ce qu'on connait. On vit beaucoup dans la crainte de souffrir ainsi que celle de mourir (les deux souvent sont liées dans l'inconscient), si on parvenait à pouvoir couper une douleur un peu comme on coupe une alarme une fois que le message est reçu (c'est à dire si on se coupe, on a mal, on le sait pas besoin d'avoir mal pendant autant de temps ^^)... si on parvenait à faire ça, alors on n'aurait plus si peur de mourir, on aurait plus peur de se donner à fond, on serait sages et on pourrait totalement (ou presque) se couper des contraintes liées à notre matérialité... (Non non je ne suis pas rentrée dans une secte -_-).
Est-ce que si on a tout le temps mal à en crever, on n'a plus peur d'avoir mal ?
Ils l'ont dit !