Rappelez-vous l'objet que nous vîmes, mon âme, Ce beau matin d'été si doux : Au détour d'un sentier une charogne infâme Sur un lit semé de cailloux,
Les jambes en l'air, comme une femme lubrique, Brûlante et suant les poisons, Ouvrait d'une façon nonchalante et cynique Son ventre plein d'exhalaisons.
Le soleil rayonnait sur cette pourriture, Comme afin de la cuire à point, Et de rendre au centuple à la grande Nature Tout ce qu'ensemble elle avait joint ;
Et le ciel regardait la carcasse superbe Comme une fleur s'épanouir. La puanteur était si forte, que sur l'herbe Vous crûtes vous évanouir.
Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride, D'où sortaient de noirs bataillons De larves, qui coulaient comme un épais liquide Le long de ces vivants haillons.
Tout cela descendait, montait comme une vague, Ou s'élançait en pétillant ; On eût dit que le corps, enflé d'un souffle vague, Vivait en se multipliant.
Et ce monde rendait une étrange musique, Comme l'eau courante et le vent, Ou le grain qu'un vanneur d'un mouvement rythmique Agite et tourne dans son van.
Les formes s'effaçaient et n'étaient plus qu'un rêve, Une ébauche lente à venir, Sur la toile oubliée, et que l'artiste achève Seulement par le souvenir.
Derrière les rochers une chienne inquiète Nous regardait d'un il fâché, Épiant le moment de reprendre au squelette Le morceau qu'elle avait lâché.
Et pourtant vous serez semblable à cette ordure, À cette horrible infection, Étoile de mes yeux, soleil de ma nature, Vous, mon ange et ma passion !
Oui ! telle vous serez, ô la reine des grâces, Après les derniers sacrements, Quand vous irez, sous l'herbe et les floraisons grasses, Moisir parmi les ossements.
Alors, ô ma beauté ! dites à la vermine Qui vous mangera de baisers, Que j'ai gardé la forme et l'essence divine De mes amours décomposés !
Charles Baudelaire
Acrerune
| 10/14/2008
Bonjour, réflexion que je peux comprendre, chaque expérience étant unique et respectable,. à laquelle je n'adhère pas personnellement, je me suis vue morte et n'ai pas éprouvé de sentiments comparables. Il y a une concordance cependant: dans cette partie: agonie comme jouissance, j'ai déjà éprouvé ça au sens physique de la jouissance pendant l'agonie, une union telle avec mon Seigneur, une fusion amoureuse, une transverbération pour parler mystiquement, un mariage d'amour avec exultation de la chair, comme un orgasme sans cesse croissant jusqu'à l'union telle qu'on ne peut la réaliser à ce point parfaite avec un amant ou tellement trop rarement! Il n'y a plus d'abîme et d'abimée à ce moment là, mais une glorification et une élévation de la chair.
Bon voilà c'était mon expérience perso et intime à ce sujet. Avant de le vivre en "live", je ne pensais pas que ce fut tel.
C'est drôle (si l'on veut) aujourd'hui j'ai posté deux notes, l'une sur la mort, et l'autre sur la naissance et sur la joie de la chair.
Bonne journée et bonne semaine.
fleurdatlas
| 10/14/2008
belle écriture lou pourtant tu me fais peur là
petit caillou
| 10/14/2008
je ne sais pas quoi répondre... je suis un peu k-o de ma journée il te faut qqch ? ça porte un nom ? ça signifie qqch ? ça vient d'où ? pardon, ich bin kaputt...
B l o w n b l u e
| 10/14/2008
Ca me parle quand tu dis que tu es un être de destruction pour te sentir vivante Il me semble que je peux te comprendre, même si je n'en suis pas certain Simplement je ne vois pas le problème... La chair est transitoire... ce qui la constitue était là avant et sera là après... Laisse la donc se désagréger, ça viendra bien a
doigt de miel
| 10/14/2008
(oupsss... faute de frappe) Je disais : Laisse la donc se désagréger, ça viendra bien assez tôt... Et en attendant profite de tout ce que la vie peut t'offrir de beau et de bon... Et offre lui tout ce qu'il y a de beau et de bon en toi... et ça fait beaucoup de choses je crois :-) Bises 'tite girafe
Rappelez-vous l'objet que nous vîmes, mon âme,
Ce beau matin d'été si doux :
Au détour d'un sentier une charogne infâme
Sur un lit semé de cailloux,
Les jambes en l'air, comme une femme lubrique,
Brûlante et suant les poisons,
Ouvrait d'une façon nonchalante et cynique
Son ventre plein d'exhalaisons.
Le soleil rayonnait sur cette pourriture,
Comme afin de la cuire à point,
Et de rendre au centuple à la grande Nature
Tout ce qu'ensemble elle avait joint ;
Et le ciel regardait la carcasse superbe
Comme une fleur s'épanouir.
La puanteur était si forte, que sur l'herbe
Vous crûtes vous évanouir.
Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride,
D'où sortaient de noirs bataillons
De larves, qui coulaient comme un épais liquide
Le long de ces vivants haillons.
Tout cela descendait, montait comme une vague,
Ou s'élançait en pétillant ;
On eût dit que le corps, enflé d'un souffle vague,
Vivait en se multipliant.
Et ce monde rendait une étrange musique,
Comme l'eau courante et le vent,
Ou le grain qu'un vanneur d'un mouvement rythmique
Agite et tourne dans son van.
Les formes s'effaçaient et n'étaient plus qu'un rêve,
Une ébauche lente à venir,
Sur la toile oubliée, et que l'artiste achève
Seulement par le souvenir.
Derrière les rochers une chienne inquiète
Nous regardait d'un il fâché,
Épiant le moment de reprendre au squelette
Le morceau qu'elle avait lâché.
Et pourtant vous serez semblable à cette ordure,
À cette horrible infection,
Étoile de mes yeux, soleil de ma nature,
Vous, mon ange et ma passion !
Oui ! telle vous serez, ô la reine des grâces,
Après les derniers sacrements,
Quand vous irez, sous l'herbe et les floraisons grasses,
Moisir parmi les ossements.
Alors, ô ma beauté ! dites à la vermine
Qui vous mangera de baisers,
Que j'ai gardé la forme et l'essence divine
De mes amours décomposés !
Charles Baudelaire